En déambulant dans les salles du musée de la ville de Leyde, De Lakenhal (chose que vous ne pouvez en réalité pas faire pour le moment, le bâtiment étant fermé pour travaux jusqu’en 2019), les artistes locaux nous émerveillent. Ce ne sont autres que Lucas van Leyden, Jan Lievens, Jan Steen, ou Jan van Goyen dont les œuvres ornent les cimaises. Et de la fierté de la ville, Rembrandt Harmensz. van Rjjn on peut notamment admirer une œuvre de jeunesse, Le Marchand de lunettes, une allégorie de la Vue qui se tient comme un clin d’œil en écho au spectateur scrutant le panneau. Apprendre à regarder constitue la base de mes études. Cela peut paraitre étrange ou simpliste, mais de musées en musées à l’école du Louvre, puis en explorant la ville de Leyde où j’ai achevé mon master, j’ai compris que l’observation reste la qualité requise première en histoire de l’art.
Après m’être plongée dans un mémoire de recherche sur les natures mortes de livres hollandaises, qui se trouve être un thème populaire à Leyde, et après un an d’études au cœur même de la ville, ma curiosité pour sa culture matérielle fut vivement aiguisée et j’ai cherché à développer un sujet de thèse inspiré de cette expérience. Ou bien je suis tombée sous le charme de la ville et ai activement cherché une raison pour y rester. Comme vous préférez.
Ludgunum Batavorum, comme l’appelait les Romains, tient une place particulière dans l’histoire de la naissance de la République des Provinces-Unies. La fête de la cité commémore encore aujourd’hui sa résistance face au pouvoir royal tous les 3 octobre. Son université (1575), « Bastion de la liberté », selon sa devise, est la première du pays et fit de Leyde un foyer intellectuel et culturel remarquable. La cité constitue donc un décor passionnant ; ma recherche doctorale est essentiellement basée sur les sources primaires que constituent les archives de la ville, et se concentre sur la particularité de sa production artistique et artisanale au cours d’une période charnière, la fin du XVIe et le début du XVIIe siècles. Après le siège meurtrier de 1574, Leyde entre dans un temps de redéfinition économique, sociale et intellectuelle. Outre les peintres du Siècle d’or aux noms familiers, Leyde accueille également un centre de presse majeur, une industrie textile unique dans le pays. Elle s’impose comme un foyer artistique dynamique et varié ; ainsi mon travail s’intéresse à l’ensemble de cette activité (peinture, sculpture, imprimerie, verrerie, tapisserie, orfèvrerie, ébénisterie).
Ma semaine débute donc aux archives de la ville, où je dépouille des documents avec avidité et enthousiasme. Pourtant, difficile de capter l’attention d’un public en parlant de « recherche archivistique ». L’expression invoque directement dans les esprits des piles de documents secs et illisibles que l’on s’abime les yeux à déchiffrer, des listes interminables de numéros d’inventaires et un jargon assommant. Et pourtant, des informations en tout genre s’y cachent, pour peu que l’on sache les lire (très littéralement, puisque la plume des scribes doit être décryptée) et les interpréter. Les archives de la trésorerie comprennent des commandes passées à différents artistes. Les séries judiciaires nous racontent des pans de vie, révélant des relations entre individus, des situations économiques, des conflits, etc. Les actes notariés nous parlent du goût des collectionneurs à travers leurs inventaires. Ces sources permettent aussi d’établir des listes, de quantifier les artistes et artisans, d’avoir une vue globale.
Ma semaine s’achève au musée. Celui où je travaille, l’American Pilgrim Museum, et qui recèle de trésors sur l’histoire matérielle de la ville de Leyde que nous explorons avec les visiteurs. Ne perdant jamais de vue l’importance d’aiguiser son regard et la réalité derrière les archives compilées sur les étagères, c’est ainsi que je souhaite construire ma recherche : tracer le lien entre l’objet physique, l’œuvre qu’on l’on peut regarder, et ce que les archives nous chuchotent à leur propos.