« Avec tous mes remerciements au Réseau Franco-néerlandais, à l’Ambassade des Pays-Bas en France, ainsi qu’aux membres du jury du Prix d’Amsterdam »
Depuis maintenant un an, j’épluche les archives de la ville de Leyde en quête de détails croustillants sur sa production artistique des XVIe et XVIIe siècles. Cela m’a laissé le temps de m’habituer à leur écriture ancienne, leurs tournures de phrases, et d’apprendre à tirer le maximum d’informations de ces pages.
Il faut faire preuve d’un peu d’imagination pour voir toute la richesse conservée dans une pile d’archives. Au fil des pages au vocabulaire répétitif, l’on doit faire travailler sa capacité de projection afin d’entrevoir furtivement leur univers d’origine, leur époque plus ou moins lointaine. Dans le cas de mes recherches, quelques centaines d’années. En histoire de l’art, la lecture d’archives peut s’avérer bien frustrante, et ce pour deux raisons principales. La première tient au fait que l’on voit défiler beaucoup, beaucoup de textes qui évoquent des artistes et leurs œuvres : commandes, demandes de livraison ou de paiement, accusés de réception, inventaires… sans rien en voir. Ces bijoux, ces peintures, ces décors de pièce de théâtre ne restent que des évocations. Une suite logique de mon travail, afin de le rendre plus complet et pertinent, sera de retrouver ces œuvres si elles existent encore, des exemples similaires à comparer, ou d’élaborer des hypothèses de reconstitution.
Le deuxième ennui avec ce type de recherche, c’est que les archives n’ont pas été rédigées pour moi. Bien évidemment, elles n’ont pas été faites dans le but de faciliter le travail des futurs chercheurs quatre cents ans plus tard, et cela se ressent. Certaines informations que l’on souhaiterait présentes nous manquent. Pourquoi le scribe a-t-il omis la profession de cette personne ? Comment a-t-il pu oublier de décrire cette peinture, de donner le nom de la pièce jouée, de préciser le décor des vitraux commandés ? Il exagère… Dans certains cas, comme l’élaboration d’inventaires, il faut aussi savoir remettre en question l’objectivité des informations parvenues jusqu’à nous.
Pourtant, la ville de Leyde était déjà à la pointe en matière d’archives à la fin du XVIe siècle, principalement grâce à Jan van Hout (1542-1609), père de l’administration. Ce titre n’est certainement pas des plus séduisants, mais le secrétaire municipal a véritablement fait entrer Leyde dans une ère administrative, encourageant l’impression de notices officielles, l’archivage systématique d’exemplaires pour chaque situation enregistrée, et créant les premiers formulaires imprimés prêts à remplir. Cette standardisation assure une certaine facilité dans mon travail de recherche.
Ma recherche a débuté avec la trésorerie de la ville, relevant les paiements que les conseillers municipaux font aux artistes ayant reçu des commandes officielles. Elle se consulte dans de grands volumes annuels reliés et écrits d’une main régulière et assurée. Ils correspondent à la compilation de tous les reçus de paiement signés au cours de l’année. Ceux-ci sont également conservés, et se révèlent particulièrement importants pour les années où le volume officiel est perdu. Dans cette série, un numéro d’inventaire renvoie à une pile de feuilles volantes aux formats variés, aux écritures plus ou moins lisibles. Ce sont les preuves de paiement rédigées en cours d’année. Chaque feuille est perforée pour y passer un fil qui retiendra l’ensemble, formant un fichier que l’anglais désigne encore par cet assemblage d’origine aujourd’hui oublié (the file)… Lorsque ce cordon compresse toujours l’ensemble, cela indique souvent qu’il n’y a pas eu de lecture depuis l’archivage. Dans ces billets, un aspect humain transparait sous la froideur du vocabulaire. Taches
d’encre, de bière ou de vin qui rythment la lecture, écritures plus ou moins appliquées, simple croix en guise de signature, fautes, ratures… Lorsqu’un artiste est payé pour une commande, il signe un reçu qui sera après classé. Cela rend un peu sentimental : tenir entre ses mains une feuille paraphée par un artiste que l’on admire est un petit bonus assez émouvant. Au cours de la lecture, on tombe sur d’agréables surprises visuelles, comme les gravures des armes de la ville, des lettrines imprimées, des sceaux de différentes cités, etc.
Cette année était la première étape de mon exploration des archives de Leyde. Je m’attaque maintenant à une autre série, les archives légales. Mais à ces recherches s’ajoute au fur et à mesure une tâche plus importante encore, problématiser et contextualiser mes données : faire preuve d’imagination, afin que cette thèse évoque pour le lecteur plus qu’une pile d’archives, mais bien le foyer artistique dynamique et grouillant dont elles résultent.
Groetjes & tot later,
Sarah