Parijse verhalen & Histoires leydoises – Comique de situation

TEFAF, Maastricht, mars 2017. Au cours d’une déambulation au milieu des raretés, des curiosités et des trésors, nous passons d’exclamations passionnées en soupirs admiratifs. Sur l’un des stands, cependant, un tableau nous interpelle et provoque une tout autre réaction : le rire. Blasphème ! Nous nous amusons à chercher des ressemblances entre la Vénus devant nous et des visages connus, nous cherchons avec humour à décrire ce qui nous déplait : le rire a provoqué un débat. De tous les nombreux stands visités, toutes les conversations (privées) devant les œuvres, c’est la seule ayant suscité une réaction d’un membre de la galerie, qui, probablement piqué que nous ne trouvions pas l’œuvre à notre goût, se fend d’une remarque sur les influences de l’artiste. Son air hautain est sans équivoque : si nous n’apprécions pas l’esthétique de l’œuvre, mais pis encore, si nous lui trouvons quelque chose de comique, c’est inévitablement que nous n’avons rien compris.

Illustration: Rire devant van Dyck. Sarah Moine, aquarelle

Pourquoi est-il donc si mal vu de rire d’une œuvre d’art ? Mettons immédiatement de côté les comportements dénigrants et les remarques idiotes du genre « Ahaha, mon p’tit de cinq ans aurait pu faire mieux ! » devant un Jackson Pollock ou « Hohoho, je ne verrais pas ça dans mon salon ! » devant un nu de Bacon, des réflexions dont la vacuité n’offre que plus de place à la mauvaise foi, au manque de curiosité, et à la fermeture d’esprit. Le rire dans l’art est évidemment un sujet qui a été exploré. Le Festival de Fontainebleau en faisait même l’un de ses thèmes pour son édition 2016, en hommage aux victimes du massacre de Charlie Hebdo. Si l’œuvre cherche elle-même à provoquer le rire, il est de bon ton de se laisser prendre au jeu. Fendez-vous d’un sourire en coin devant une caricature de Daumier, une trogne de Jérôme Bosch, ricanez devant une absurdité de Magritte, pouffez devant des gargouilles grotesques. Mais malheur à vous si un fou rire vous prend devant une œuvre grave, surtout dans la sacrosainte enceinte du musée.

Pourquoi rapprocher rire et ignorance, manque de respect ou manque de goût ? Qu’une œuvre nous plaise ou non, le rire est une réaction qui peut entrainer de passionnantes conversations, explications, ou simplement créer un souvenir plus vif de l’œuvre dans notre esprit en l’associant à une émotion.

Il y a quelques années, à l’occasion d’une nocturne « Les Jeunes ont la parole » au Louvre, lors de laquelle des étudiants proposent d’expliquer un aspect d’une œuvre aux visiteurs, je me tenais sagement devant un Saint Sébastien secouru par les anges de Van Dyck. Un putto y retire une flèche du flanc du martyr dénudé et à bout de forces (au premier abord, un sujet qui ne prête pas vraiment à l’hilarité). Deux jeunes hommes visiblement un peu perdus s’approchent, étonnés de cette initiative de médiation, et nous entamons une conversation. Je commence alors mon explication, un peu trop bien huilée après deux heures de répétition. Le sujet du tableau est l’occasion de faire un peu d’hagiographie : qu’est-il donc arrivé à Sébastien pour se trouver dans une telle situation ?

« Sébastien est centurion dans l’armée de Dioclétien, récité-je. Lorsque sa foi chrétienne est découverte, il est condamné à être criblé de flèches par ses propres soldats. »

Je vois alors l’un de mes attentifs interlocuteurs plisser les yeux devant le tableau avec incompréhension. Puis étonné, il conclut en riant aux éclats :

« Ils visaient super mal, ses soldats. »

Déconcertée, je tourne la tête vers la peinture. Et éclate de rire avec eux. Superposée à l’image du corps presque immaculé du saint, mon histoire parait en effet ridicule. Cette apparente innocente remarque soulève en réalité l’un des points les plus fascinants de l’évolution de l’iconographie du saint et provoque une conversation sur ces changements et leurs enjeux esthétiques. Au Moyen Âge, l’accent est porté sur la narration : Sébastien est couvert de flèches, comme un  « hérisson ». A la Renaissance, le saint se dénude, les flèches se font plus rares : l’artiste exhibe sa virtuosité dans le rendu de l’anatomie et des émotions. Le sujet religieux devient peu à peu un emblème du nu masculin, tout comme Suzanne au bain pour le nu féminin. Cette conversation est la seule de la soirée à toujours retentir dans mon esprit, comme un écho de ce fou rire.

En matière d’art, la « mauvaise réponse» n’existe pas. Toute réaction ou émotion est la bienvenue, tant qu’elle participe à une expression de notre ressenti personnel. Alors riez aux éclats, si le cœur vous en dit, et créez de nouveaux liens, de nouveaux souvenirs avec les œuvres, (il parait que c’est communicatif…).

Groetjes & tot later !
Sarah

Photo couverture: Wikimedia Commons / Tableau: © Johannes Moreelse, Démocrite  (Centraal Museum Utrecht)